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Réflexion d'un écologiste

Propos libres et engagés (pour lancer un blog en 2016, il faut être un peu décalé)

La grâce peu évidente de Jacqueline Sauvage

Le Président de la République vient d'annoncer, concernant Jacqueline Sauvage (cette femme battue pendant des années, qui avait tué son mari et condamnée à 10 ans de prison), la remise grâcieuse d'une partie de sa peine (soit 2 ans et 4 mois) ainsi que le relèvement de ses périodes de sûreté. Cela devrait lui permettre de demander prochainement une libération conditionnelle.

Il faut noter que pour les personnes condamnées à 10 ans de prison et plus, les libérations conditionnelles sont tout sauf facile à obtenir : il faut passer devant un tribunal de l'application des peines et subir une expertise en passant 6 semaines au centre d'évaluation de Fresnes. Par ailleurs, cette libération est soit accompagnée d'un placement sous surveillance électronique mobile, soit précédée d'un temps d'épreuve par placement en semi liberté ou placement extérieur.

Contrairement à la croyance populaire qui veut que la plupart des personnes détenues quittent rapidement la prison, les durées d'incarcération sont de plus en plus longues en France. On est passé de 1152 personnes emprisonnées pour des peines supérieures à 20 ans en 2000 à 2459 en 2014. Dans le même temps, la droite a multiplié les empêchements pour limiter les libérations conditionnelles de ces détenus, empêchements que la gauche revenue au pouvoir n'a pas levés. La réforme pénale n'a modifié qu'un détail absurde (mais bloquant) et personne n'a reparlé de la loi sur les longues peines, un temps évoqué.

Jacqueline Sauvage n'est donc pas encore libre, mais la décision du Président de la République aura un effet réel.

Malgré une campagne médiatique très large, certaines voix se sont opposées à cette grâce. Certains ont rappelé que Jacqueline Sauvage avait été condamnée, non par des juges professionnels, mais par un jury de 3 magistrats et 6 citoyens, puis en appel par 3 magistrats et 9 citoyens. Les mêmes ont souligné toutes les ambiguïtés de cette affaire, pas forcément aussi simple que l'exposé médiatique de la femme battue qui n'a fait que se protéger. D'autres ont au contraire évoqué une "légitime défense différée", concept dangereux qui n'est qu'une version politiquement correcte du meurtre par vengeance et de la loi du talion.

Nous ne sommes pas là pour refaire le procès de Jacqueline Sauvage. Mais elle est devenue, à tort ou à raison, le symbole d'un fléau réel : les violences conjugales. En 2014, 134 femmes sont décédées, sous les coups de leur compagnon ou ex-compagnon.

Depuis une dizaine d'année (depuis Sarkozy, mais Hollande est encore plus tranché sur la question), il y a une forte réticence aux grâces présidentielles et lois d'amnisties décidées par des politiques. Ce ne serait ainsi que la seconde grâce d'Hollande, pratique qui était encore pourtant courante sous Chirac (qui l'utilisait pour vider des prisons sur-bondées). La proposition de loi d'amnistie des militants syndicaux, à l'ampleur pourtant limitée, a été sabordée par les députés socialistes en 2013.

Les grâces et amnisties sont un moyen de relâcher, par la décision politique, une tension engendreé par une décision judiciaire, vue comme injustice. Le problème des grâces et des lois, c'est que plus elles étaient larges, plus les politiques justifiaient ainsi le pardon de leurs proches. On se souvient du tollé après l'amnistie de Guy Drut ou de la loi d'amnistie sur les délits liés au financement politique en 1990. Quand on gracie des délinquants et que l'on fait sauter les contraventions routières, il devient plus facile de justifier les cadeaux faits aux amis... De plus, la grâce était devenue une certaine habitude, au point que la délinquance routière augmentait avant chaque présidentielle. La réticence à recourir à ce procédé montre aussi une évolution du rapport des dirigeants politiques à la justice.

Au-delà, on éprouvera vis à vis du verdict, comme de la campagne médiatique, la même gêne que lorsqu'il y a deux semaines, les assises de Seine-Saint-Denis avaient acquitté le policier qui avait tué Amine Bentounsi d'une balle dans le dos. Là aussi, la victime ne suscite pas forcément la compassion immédiate. Il était toutefois apparu que le policier avait menti à la justice. Il avait pourtant été acquitté par le juré populaire, malgré les réquisitions du procureur. Ce verdict a suscité une forte incompréhension, là aussi légitime. Un appel pourrait avoir lieu.

Mais à chaque fois c'est un juré populaire qui a tranché. On sait toutes les limites de l'exercice de ces jurys (le blog de Michel Huyette contient plusieurs témoignages), que Nicolas Sarkozy voulait pourtant multiplier (pour restreindre le rôle des magistrats). On voit aussi que la justice a naturellement du mal à juger des symboles et des affaires devenues politiques. Ces affaires judiciaires sont à la croisée de problèmes sociaux graves qui sont pourtant insuffisamment pris en charge : s'il y a - enfin ! - une prise de conscience sur les violences conjugales, le nombre de victimes demeure affolant. Quant au problème des violences policières, il reste encore tabou, tout comme le traitement des longues peines.

En limitant sa grâce et en renvoyant vers la justice pour l'obtention de la libération conditionnelle, François Hollande maintient à la fois sa position d'un rôle limité des politiques dans les affaires judiciaires et sa stratégie constante de ménager la chèvre et le chou. C'est dans ce cas assez sain, même si c'est au risque de mécontenter les deux camps : ceux qui ont fait de la victime le symbole des violences conjugales, et ceux qui refusent toute remise en cause des décisions judiciaires (qui seraient avant tout des remises en cause de la justice dans son ensemble).

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